Dans la catégorie des "trucs qui me font honte mais que je ne peux pas m'empêcher de faire quand même", les nominés sont :

1 - Inventer un mensonge à base de grand-mère malade pour ne pas aller à un dîner où tu as pourtant été invité avec beaucoup de gentillesse.

2 - Se plaindre de tout et de rien devant quelqu'un qui aurait vraiment des raisons de se plaindre et qui garde sa dignité.

3 - Brailler parce qu'une catastrophe mortelle arrivée à d'autres a bousculé ton planning.

Je pourrais trouver plusieurs anecdotes dans chaque catégorie mais je ne tiens pas à passer pour un monstre, donc, j'en choisi une seule and the winner is... rhatatata, rhatatata, rhatatata [roulements de tambour] "Brailler parce qu'une catastrophe mortelle arrivée à d'autres a bousculé ton planning".

Maintenant, tu aimerais bien en savoir plus hein ? Si, si, si, ne nies pas. OK, je te raconte.

Un jeudi récent était ma plus grosse journée de travail de la semaine, j'avais des animaux à transporter toute la journée, quelques chiens à promener et une nouvelle cliente à rencontrer.

Dire que ma journée commençait à la perfection serait au dessous de la vérité, mes clients du matin étaient de vieux clients que j'ai un réel plaisir à retrouver à chaque fois, il faisait beau et j'ai pu déjeuner sur l'herbe dans le bois de Vincennes en attendant un gentil cocker qui se faisait faire une beauté chez son toiletteur, bref, le bonheur.

Bonheur de courte durée, tu t'en doutes, sinon ça ne serait pas drôle. Je remonte dans ma voiture dans l'idée d'aller récupérer mon client canin, je tape l'adresse sur mon GPS... qui s'allume en rouge ! Je l'éteins, je le rallume, il me dit qu'il doit être re-paramétré, il me demande donc quelle langue je parle, quelle heure il est, si je préfère que ce soit une voix masculine ou féminine qui m'indique mon chemin, puis il s'éteint... et se rallume en me disant qu'il doit être re-paramétré, il me demande donc quelle langue je parle, quelle heure il est, si je préfère que ce soit une voix masculine ou féminine qui m'indique mon chemin, puis il s'éteint... et se rallume en me disant qu'il...

Cet abruti de tom-tom tourne en boucle ! Bon, je me dis que ça va être laborieux, qu'il va falloir que je retourne à l'ancienne méthode du plan sur les genoux et que je vais perdre un temps précieux.

Je ramène mon cocker chez lui à Nogent sur Marne et je file en direction du client suivant. Enfin, quand je dis "je file", c'est une façon de parler, et une façon finalement peu appropriée : toutes les rues de taille décentes sont engluées dans un bouchon impressionnant. Comme je n'ai plus de GPS pour m'aider à trouver un itinéraire bis, je galère, zigue-zague un peu, emprunte quelques ruelles pour en arriver à une conclusion démoralisante : ça va me prendre très longtemps pour sortir de ce berdol.

Je quitte enfin Nogent sur Marne pour m'apercevoir que juste après sur mon trajet, Joinville le Pont est également en enfer. J'appelle tous mes clients pour tenter de décaler tous les rendez-vous en priant secrètement pour qu'ils les décalent carrément à un autre jour, ce qui ne sera pas le cas, tu t'en doutes : ils décalent leur rendez-vous sur la même journée maudite !

Un bonheur n'arrivant jamais seul, la suite de mes trajets me fait réaliser que le bouchon a gagné tout le Val de Marne, Maisons-Alfort, Charenton, Vitry sur Seine, Ivry sur Seine, Villejuif, ... sont toutes prises dans un embouteillage aussi gigantesque qu'inexplicable.

Je passe toute ma journée, le cul collé au siège de mon utilitaire, avançant au pas, transpirant, assurant la hot-line pour mes clients inquiets. Quand je pense à la merveilleuse matinée de ce jour sans fin, j'ai l'impression que c'était il y a 1352 ans.

Je peste, j'enrage, je me morfonds, je désespère, je veux rentrer chez moi TOUT DE SUITE !

Et puis, en arrivant chez une cliente, je m'excuse à nouveau pour mon retard, pour le contretemps, je lui explique que je ne sais même pas ce qui se passe et que je n'ai jamais vu ça depuis plus de 20 ans que je conduis en région parisienne...

Elle me répond : "moi je sais ce qui se passe, il y a eu une fusillade sur l'autoroute A4 et la police l'a fermée".

Je le précise pour les non-Franciliens, l'autoroute A4 déssert toute la banlieue Est, donc le Val de Marne, c'est une artère vitale qui est elle-même en permanence embouteillée.

Il faut imaginer un instant ce que peut donner la suppression d'une telle voie de circulation sur les communes alentour, il faut imaginer tous ces banlieusards contraints de quitter une voie rapide qu'ils connaissent par coeur pour engorger les rues des communes dans lesquelles ils se perdent joyeusement (encore que "joyeusement" soit mal choisi là !), il faut imaginer des milliers de voitures dans les rues de toutes tailles, avec au volant des conducteurs rendus fous par la chaleur et l'idée qu'ils n'arriveront pas chez eux avant 48 heures à ce rythme ridicule.

Bon, j'aurais pu compatir, demander si les victimes étaient gravement touchées, avoir l'air de m'intéresser un tant soit peu à autre chose qu'à mes fesses talées d'avoir passé trop de temps assise, bref, j'aurai pu me montrer un peu humaine, mais, à ma grande honte j'ai râlé en disant "Mais bon sang, ils ne pouvaient pas aller s'entretuer ailleurs ?!"... La honte je te dis...

PS  : le crobard est une pathétique tentative d'illustrer l'expression "se glisser dans un trou de souris".